Le torchon brûle entre le journaliste Camerounais Raphaël Mvogo, et l’Agence de presse Chine Nouvelle où il exerce depuis octobre 2009 après sa démission du quotidien gouvernemental bilingue Cameroon Tribune. Une rupture de contrat « abusive » au centre de la discorde. Outre l’ambassade de Chine, les services de renseignement, le Ministère camerounais des relations extérieures a été saisi par l’ancien Directeur de l’information de Chine Nouvelle…Zoom sur un gros scandale qui fait couler beaucoup d’encre et de salive actuellement au Cameroun.
C’est une affaire grave, qui ne cesse de révéler ses secrets et de prendre de l’ampleur. Le mercredi 6 novembre 2019, jour de l’anniversaire de l’accession du président Paul Biya au pouvoir, Qiao Benxiao, le représentant de l’agence de presse Chine nouvelle au Cameroun, était attendu avec le Camerounais Wongoue Claude Bernard à l’occasion de l’ouverture d’un procès dans lequel les deux hommes sont poursuivis pour menaces et violation de domicile, à l’encontre du journaliste Raphaël Mvogo, l’ancien directeur de l’information de cette agence chinoise. Ces délits sont passibles de lourdes peines d’emprisonnement au Cameroun.
Les faits , en date du 11 septembre 2018 à 22h06, Qiao Benxiao adresse un courriel à Raphaël Mvogo par lequel il lui fait part de son « licenciement pour absence irrégulière et insubordination aggravée « . La veille déjà, le jeune Chinois avait adressé au célèbre journaliste camerounais un autre courriel dans lequel il lui avait annoncé la décision prise par le «quartier général» de Chine nouvelle de mettre en œuvre un «plan de rationalisation de la gestion des ressources humaines » prévoyant la résiliation des contrats de travail des employés en service au bureau du Cameroun puis la signature par ceux-ci de nouveaux contrats avec une «agence des ressources humaines».
Face à cette annonce qui le fait sourire, Raphaël Mvogo reste de marbre. Trois semaines auparavant, alors qu’il jouit de son congé annuel, l’ancien journaliste de Cameroon Tribune( le quotidien gouvernemental) se voit servir par un huissier de justice une lettre par laquelle Qiao Benxiao le somme de reprendre le travail. A son supérieur hiérarchique, il répond également par voie d’huissier en lui rappelant que le congé d’un travailleur est un droit inaliénable protégé par la loi portant sur le Code du travail au Cameroun. Il ajoute néanmoins qu’il est disposé à interrompre son congé puis à reprendre du service au cas où les impératifs professionnels l’exigeaient, mais contre une compensation financière.
Après plusieurs jours sans réaction, Qiao Benxiao revient à la charge en faisant parvenir une fois de plus par voie d’huissier une nouvelle lettre par laquelle il annonce à Raphaël Mvogo son refus de lui payer son salaire du mois de congé pour, écrit-il, «absence de prestations ». Alors qu’il se prépare à dénoncer auprès de l’inspection du travail ce qu’il considère comme une violation flagrante de ses droits, il reçoit le mail lui annonçant son licenciement.
Le 14 septembre 2018, c’est-à-dire trois jours seulement après, Qiao Benxiao lui écrit de nouveau pour lui annoncer qu’il venait de lui virer dans son compte l’indemnité de son congé et une prime comptant pour l’année 2017.
La rupture du contrat est manifestement abusive et Raphaël Mvogo saisit l’inspection du travail où une procédure de conciliation s’ouvre le 9 octobre 2018, en vue du paiement de ses droits sociaux. Qiao Benxiao s’y présente lors de la deuxième audience en déclarant, avec le soutien de son conseil, que Chine nouvelle jouit de l’immunité diplomatique et ne saurait en conséquence faire l’objet de poursuites devant les juridictions camerounaises. Le chef de la brigade de l’inspection du travail demande des preuves de cette affirmation, par la présentation d’un accord de siège liant son agence de presse à l’État du Cameroun, mais le jeune Chinois est incapable de fournir un tel document. Par son conseil, il tente de faire passer un document portant la mention «attestation» et par lequel il présente Raphaël Mvogo comme ancien employé de l’ambassade de Chine jusqu’à son licenciement survenu, est-il écrit, «le 12 septembre 2018».
L’Agence de presse Chine nouvelle a-t-elle véritablement signé un accord de siège avec le Cameroun ?La question reste posée. Seul le Ministère camerounais des relations extérieures pourra répondre à cette question…Cependant selon un spécialiste des questions Diplomatiques, pour qu’un média étranger prenne réellement pied dans un pays cas du Cameroun, il faut que l’Assemblée nationale vote une loi à cet effet. Ce qui semble ne pas être le cas de l’Agence de presse Chine nouvelle.
En date du 27 juillet 2018, Qiao Benxiao avait délivré, en sa qualité de «représentant du Bureau de Yaoundé», une attestation de travail dans laquelle il avait écrit ceci : «L’Agence de Presse Chine nouvelle (Xinhua) Bureau de Yaoundé (ci-après l’agence), dont le siège social est situé à B.P. 1583, Bastos, Yaoundé, atteste et certifie par la présente que M. Raphaël MVOGO (…) est l’employé de l’agence, et qu’il n’est ni démissionnaire, ni en procédure de licenciement.
En effet, Raphaël Mvogo rejoint Chine nouvelle en octobre 2009 suite à une offre de recrutement de celle-ci dont les dirigeants lui font part de leur admiration pour son talent. Il quitte alors le quotidien national Cameroon Tribune où il avait fait ses armes depuis 1997 et occupé les fonctions de chef du bureau Société et du bureau Monde, après avoir longtemps servi comme chroniqueur culturel.
En très peu de temps, à force de travail il permet à Chine nouvelle de gagner en visibilité. Sommets de l’Union africaine, des Brics Afrique du Sud en 2013), du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), Forum économique mondial sur l’Afrique, New York Economic Forum Africa, élections présidentielles (Sénégal, Mali, RCA, Tchad, etc.), il est présent à la plupart des grands événements qui se déroulent sur le continent). Il réalise des interviews exclusives de nombreux dirigeants africains comme Paul Kagame du Rwanda, Macky Sall du Sénégal, Alpha Condé de Guinée-Conakry, Mahamadou Issoufou du Niger, Ibrahim Boubacar Keita et son prédécesseur Dioncounda Traoré du Mali, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, Salva Kiir du Sud-Soudan, Moncef Marzouki de Tunisie, Hery Rajoamampianina de Madagascar, Faustin Archange Touadéra et Catherine Samba Panza de la République centrafricaine (RCA), Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso, Idriss Déby Itno du Tchad, Jakaya Kikwete de Tanzanie, l’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo, etc. Et des personnalités mondiales comme Christine Lagarde du Fonds monétaire international (FMI), Antonio Guterres, l’actuel secrétaire général des Nations Unies quand il dirigeait le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ou encore Michel Sidibé, le directeur exécutif de l’Onusida… Sans oublier les grands industriels comme Aliko Dangote du Nigeria et Issab Rabrab d’Algérie.
C’est d’ailleurs son entretien exclusif avec le chef de l’État burkinabè lors du sommet de l’Union africaine de janvier-février 2016 qui sert de déclic à l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et le Burkina Faso. Et de façon générale le travail de cette icône du journalisme a été déterminant dans la consolidation de la coopération sino-camerounaise et sino-africaine.
Toutefois, au regard du dossier soumis à son examen, le chef de la brigade de l’inspection du travail fait observer au jeune Chinois que «cette affaire est un gros scandale pour votre pays» et lui suggère de négocier avec l’ancien directeur de l’information pour le règlement du différend de travail. Encouragé par son conseil, le Chinois banalise la proposition et opte pour la signature du procès-verbal de non-conciliation.
Après cette étape, Raphaël Mvogo saisit le tribunal de grande instance du Mfoundi, avant de porter l’affaire, afin d’obtenir le paiement de ses droits sociaux, à la connaissance du ministre des Relations extérieures à qui il adresse une première correspondance le 18 janvier 2019, suivie d’une lettre de relance le 22 mars et d’une troisième correspondance le 12 juillet.
Bon à savoir, selon la Convention de Vienne, le ministère des Relations extérieures est tenu par l’obligation de porter assistance et de défendre le journaliste camerounais. Mais, les responsables chargés du traitement du dossier dans ce ministère traînent les pieds pour œuvrer à la résolution du problème, à la grande surprise du journaliste. Aucun empressement de convoquer le Chinois ni les responsables de l’ambassade de Chine. Alors qu’une démission d’un travailleur ou une rupture de contrat de travail, quelle que soit sa forme, doivent en tout état de cause être suivies de la liquidation des droits y afférents. La réaction du Ministre Camerounais des relations extérieures Mbella Mbella est donc vivement attendue, afin qu’une solution définitive soit trouvée à ce différend. Le journaliste Raphaël Mvogo que la rédaction de Afriquepremiere.net a rencontré se dit serein et réclame tout simplement à son ancien employeur, le payement de ses droits.
Ericien Pascal Nguiamba