Dans son livre disponible sur www.amazon.fr, l’auteur fait une analyse froide pleine d’enseignements sur « Les gros handicaps de l’opposition pour octobre 2018 » à la prochaine élection présidentielle. Quelques extraits.
Singulier pays que le Cameroun où l’opposition, malgré un grand dynamisme, n’est pas parvenue au bout de 28 années d’existence à conquérir le pouvoir. Il se retrouve ainsi avec le Togo, le Gabon, le Zimbabwe ou l’Angola, parmi les pays où un même régime est en place depuis plus de vingt ans. L’argument qui tombe dans le sens commun est celui classique de la division de l’opposition et comme conséquence de cela son incapacité à mettre en place un front commun face au pouvoir. Argument facile que celui-là, qui malheureusement est battu en brèche par les résultats du scrutin présidentiel d’octobre 1992 au cour duquel, malgré le fait qu’il y avait eu une multitude de candidats, le pouvoir avait été sérieusement menacé. Autre argument facile battu en brèche par la réalité, celui de la fraude électorale qui serait abondamment pratiquée par le régime et qui justifierait les défaites successives de l’opposition sur le plan national. Mais comment expliquer alors le fait que l’opposition parvienne malgré tout à faire élire en même temps des candidats sur l’ensemble du territoire ?
Nous nous sommes intéressé aux victoires de l’opposition dans d’autres pays africains ayant vécu au même moment que le Cameroun le retour à la démocratie en 1991. Nous en avons dégagé des constances, et les avons rapportées à la situation du Cameroun.
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A – Ailleurs les ex-ministres font fortune en politique.
Au Niger, au Mali, en Guinée, en RCA, etc., les leaders des partis qui réalisent allègrement des scores de 15, 20 voire 30% aux scrutins présidentiels, et finissent même par conquérir le pouvoir suprême, sont tous d’anciens ministres. Il n’existe pas parmi eux, de personnalités sorties tout droit du peuple.
Cellou Dalein Diallo, en Guinée Conakry, a été Premier ministre, tout comme Sidya Touré. Tous les deux ont réalisé d’excellents scores à l’élection présidentielle et se retrouvent ainsi à la tête de partis politiques disposant de très nombreux militants et élus au Parlement.
Au Sénégal, Abdoulaye Wade a été à plusieurs reprises ministre avant d’être élu Président du Sénégal. Et son parti, le Parti Démocratique Sénégalais, PDS, est un grand parti disposant de nombreux élus à tous les niveaux.
Il en est de même au Mali pour Ibrahim Boubacar Keita. Au Niger, Hama Amadou a réalisé un score de 17% au premier tour de l’élection présidentielle de 2016, etc.
Dans le même temps, en revanche, la quasi-totalité des leaders politiques de ces pays qui n’ont jamais été nommés au gouvernement, parviennent difficilement à atteindre des scores de 10% aux élections présidentielles.
Il apparaît donc évident que le passage au gouvernement aura procuré aux ex-ministres une aura dont ils se servent par la suite dans leur carrière politique.
B – Au Cameroun ils recueillent des scores ridicules.
Au Cameroun, la situation est totalement contraire. Aucun ancien membre du gouvernement n’a pu, jusqu’à ce jour, réaliser un score de 5% au cours des différents scrutins présidentiels qu’a connus le pays après celui tout à fait particulier de 1992, où seul Bello Bouba Maïgari avait atteint un score de 19,2%, quand Ndam Njoya, autre ancien ministre, n’obtenait que 3,6% des voix. Au scrutin de 1997, Eboua Samuel, tout puissant ministre sous Ahidjo et pratiquement unique candidat important de l’opposition, n’avait obtenu que 2,44% des voix.
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Chapitre IV : Cibles électorales floues et programmes repoussoirs.
Les campagnes électorales sont les occasions pour les partis politiques de vendre leurs projets et d’obtenir en conséquence des voix. Ils choisissent ainsi leurs cibles, exactement comme cela se fait lors du lancement d’un nouveau produit de consommation sur le marché.
Au Cameroun, généralement, tout est flou. On sait très peu qui pense quoi et à quelle catégorie sociale spécifique est destiné le discours de tel ou tel parti poli-tique. Finalement, sans qu’ils ne s’en rendent compte, la quasi-to-talité des partis politiques, lors des scrutins, ratent de précieuses cibles électorales qui auraient pu leur apporter la victoire, tout au moins de bons scores. Ils ne com-prennent pas qu’un parti s’a-dresse avant tout à une catégorie sociale donnée, à des individus spécifiques, et que destiner un discours à « tout le monde » est le meilleurs moyen de ne le destiner à personne.
A – UDC, MP, ADD, UFDC, PAP, AFP, UFP, MRC : flou artistique.
Lors de la présidentielle de 2011, ce phénomène s’est une fois de plus répété. Les programmes politiques des différents candidats étaient tous « généraux », non ciblés, et en conséquence, difficilement vendables aux élec-teurs. En voici, quelques morceaux choisis résumés :
Garga Haman Adji : « le bilan de Paul Biya après 29 années de pouvoir n’est pas satisfaisant »
Jean-Jacques Ekindi : « Les Camerounais ne vont pas voter pour Biya. Depuis 29 ans, il n’a rien fait et les gens vivent de plus en plus mal.
Adamou Ndam Njoya : « la République a été oubliée ; il faut restaurer l’éthique comme fonde-ment de la vie ».
Hubert Kamga : « En préalable à tout développement économique, je propose de « solder le compte du colonialisme » en sortant le Cameroun de la zone franc pour réorganiser l’économie.
Hameni Bialeu : « Je veux revoir tout le système de santé et m’occuper de la jeunesse »
Fritz Ngo : « préserver la biodiversité du Cameroun et réorienter la jeunesse vers des marchés d’emplois porteurs tels que l’agriculture et l’élevage pour lutter contre l’informel ».
Ayah Abine : « séparation des pouvoirs ainsi qu’un rajeunissement des ministères avec 60% de jeunes de moins de 40 ans ».
Dzongang Albert : « apporter aux Camerounais des solutions aux problèmes urgents ; le plus urgent est de réconcilier les fils de ce pays ».
Daniel Soh Fone : « réunir tous les candidats autour « d’un arbre à palabres » pour constituer un gouvernement d’union nationale, remettre le Cameroun au travail ; promouvoir l’équité dans la redistribution des richesses, la transparence dans la gestion des finances publiques ».
Bernard Muna : « la politique menée par Paul Biya depuis 29 ans n’a pas profité aux Camerounais ».
Esther Bayibidio Dang : « supprimer le préfixe « sous » du terme sous-développement en accordant la priorité à la lutte contre le sous-emploi et la sous-alimentation, amener les Camerounais à combattre ensemble le sous-développement ».
Olivier Anicet Bilé : « transformer l’esprit et le mental camerounais en mettant en œuvre « l’amour et la crainte de Dieu » et favoriser la mise en place d’une structure financière et bancaire ».
Qui est concerné par toutes ces propositions, véritable baratin ? Réponse : tous les Camerounais, en général, dans le meilleur des cas, et, finalement, personne en particulier. Or, les gens se déplacent le jour du vote pour aller défendre leurs intérêts égoïstes, et non ceux de tout le monde. Ils se déplacent pour ce qui va changer leurs conditions de vie, et non celle du candidat. Ils se déplacent pour ce qui va remplir leurs ventres et non ceux des politiciens et leurs familles, ainsi qu’ils le pensent dès lors qu’un discours est vague pour eux. Inutile de crier à la fraude électorale après n’être pas parvenu à attirer des électeurs à partir de son projet politique. Paul Biya, lui, peut se permettre de tenir un discours imprécis, car il détient déjà le pouvoir, mais pas l’opposition.
B – Fédéralisme : repoussoir et non aimant.
Parmi les projets politiques des partis d’opposition, se trouvent des repoussoirs. Au nombre de ceux-ci, figure en bonne place la question du fédéralisme. Une infime partie de l’intelligentsia camerounaise s’en fait actuellement les gorges chaudes. Ce faisant, elle peine à admettre que c’est une revendication avant tout régionale et pense qu’en la martelant sur les plateaux de télévisions, les studios de radios et sur Facebook, elle se transformera en une revendication nationale. Elle est totalement dans l’erreur, et la propre histoire du SDF qui en est le principal promoteur, est très révélatrice de cette évidence. Il suffit pour cela d’établir une corrélation entre le discours développé par ce parti et ses résultats électoraux. Plus il devient « fédéraliste », moins le SDF obtient de voix.
Présidentielle 1992.
Le SDF tient un discours national : « power to the people », « suffer don finish ». Score : 36% des voix avec 1.066.602 votants.
Présidentielle 1997.
Abstention.
Présidentielle 2004.
Le SDF abandonne le discours de 1992, et se met à s’identifier essentiellement comme le parti du retour au fédéralisme, et non plus celui des « gagne-petit », des « opprimés », des « laissés pour compte » de l’ensemble du pays. Ces derniers commencent de plus en plus à ne devenir pour lui qu’uniquement les membres de la communauté anglophone. Score obtenu : 17,40% des voix, avec seulement 654.066 votants. Erosion considérable de son électorat à hauteur de 50%, par rapport à 1992. Une véritable alerte sur la nécessaire critique du discours servi aux électeurs. Plutôt que cela, le SDF s’est enfermé sur les « fraudes massives du RDPC », et « l’impossible victoire de l’opposition sans la mise en place d’un organe indépendant d’organisation des élections » !
Présidentielle de 2011.
Le SDF renforce son positionnement régional « anglophone » et fédéraliste. Il ne s’interroge toujours pas sur la pertinence de son discours par rapport aux 80% de la population qui ne sont ni « anglophones », ni attirés par le fédéralisme. Résultat, nouvel effondrement du score: 10,71% seulement des votants, soit moins du tiers de son score de 1992, et une perte de 39% de son électorat de 2004, c’est-à-dire presque la moitié. Il ne se retrouve plus qu’avec 398.980 votants !!!!!! Même pas un demi-million !!!! Dégringolade vertigineuse par rapport au scrutin de 1992 !!!!
Fait de la plus haute importance à relever : la communauté «anglophone » au Cameroun, représente, en terme électoral, environ 21% de voix, et le SDF, avec son discours « fédéraliste », n’a obtenu sur le plan national que 10,71 % en 2011, ceci signifie que l’électorat cible « anglophone » qui est le sien, ne lui est qu’en partie acquis, et nullement en totalité, car dans les 10,71%, il se trouve de très nombreuses voix « francophones ».
Actuellement, les incendies des établissements scolaires, les assassinats que commettent les sécessionnistes, la violence qu’ils exercent sur la population, viennent encore plus renforcer le camp des anti-fédéralistes au Cameroun, qui demeure plus que jamais profondément convaincu que le fédéralisme n’est qu’un cheval de Troie pour la sécession, une étape vers la partition du pays. En outre, la position très ambiguë du SDF sur ces violences, n’est guère de nature à arranger les choses. En conséquence, quiconque désire perdre par avance le scrutin présidentiel de 2018 au Cameroun, sait ce qu’il doit faire : promettre aux Camerounais le fédéralisme. Il sera automatiquement perçu comme un soutien inavoué des sécessionnistes. Inutile par la suite de se mettre à crier à la « fraude électorale massive » du régime pour « maintenir le dictateur Biya ». Il ne sera pas voté par les Camerounais.
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Chapitre VI : Arguments peu convaincants pour des catégories sociales particulières.
De nombreux candidats au Cameroun misent secrètement sur des votes particuliers, tel que le vote régional ou sur des catégories sociales dominantes dans le pays telles que les femmes ou les jeunes. Mais, ce faisant, en dehors d’incantations répétitives qu’ils font dans le meilleur des cas, absolument rien dans leurs programmes n’apparaît de nature à attirer vers leurs candidatures le vote de ces groupes.
A – La région.
Le scrutin présidentiel de 20-11 a été particulièrement révélateur du caractère erroné de ce calcul électoral. Deux candidats, en effet, au moins, auraient pu en bénéficier.
Garga Haman, unique candidat du Nord du Cameroun.
A l’occasion de ce scrutin qui comptait seize candidats, un seul était originaire de la partie Nord du pays. Or, celle-ci fournit environ 45% de l’électorat. En conséquence, à priori, un seul candidat issu de cette région, devrait normalement se retrouver avec un score dépassant aisément les 10% de voix, si le facteur régional du vote se fait dominant. Mais, il n’en a rien été. Garga Haman Adji n’a récolté que 3% des voix sur l’ensemble du territoire… Ceci démontre bien que le contenu du projet et sa diffusion priment malgré tout, sur toute autre considération, fut-elle ethnique.
Paul Abine Ayah.
Deuxième candidat de la région du Nord-ouest qui compte valablement la moitié de l’électorat anglophone, soit environ 10% de l’électorat national, il n’a recueilli qu’un score de 1,26 % !!!! sur toute l’étendue du territoire.
B – Les femmes les jeunes.
Une autre méprise est courante au sein de l’opposition camerounaise, celle qui consiste à penser que les femmes ou les jeunes en eux-mêmes, sont de nature à faire remporter une élection à un candidat. Malheureusement, les résultats du scrutin de 2011 sont édifiants sur ce point.
Les femmes.
Selon les statistiques nationales, les femmes constituent 50% de la population. Fort de cette donnée, nombreux sont les hommes politiques camerounais qui courtisent l’électorat qu’elles représentent. Mais dans le même temps, malheureusement, ils n’y parviennent pas.
Lors de la présidentielle de 2011, les deux seules femmes s’étant portées candidates n’ont pu recueillir de scores importants : Edith Kahbang Walla, 0,2 %, et Dang Esther, 0,33%.
Les jeunes.
Tout comme les femmes, les jeunes au Cameroun constituent un grand vivier électoral. Ils sont estimés à un pourcentage plus élevé encore. Celui-ci se situe autour de 45% ayant moins de 15 ans. En ajoutant ceux qui ont plus de 15 ans, on aboutit aisément à 60% de la population.
L’opposition se démène à conquérir cet électorat, mais sans résultats probants, au regard de ses scores électoraux. En conséquence, le dévolu sur le vote des jeunes comporte de grosses limites. Déjà, 45% de la population ayant moins de 15 ans, signifie 50% de la population qui ne vote pas, l’âge électoral étant fixé à 20 ans ! Par ailleurs, nous avons personnellement constaté que les jeunes des villes sont particulièrement difficiles à conduire dans les bureaux de vote le jour des élections, à la différence de ceux vivant en campagne, où le chef de village peut les y contraindre. Cette cible ne s’avère pas de ce fait particulièrement payante aujourd’hui en matière électorale, en ne misant que sur elle.
Enoh Meyomesse, Auteur.