Dans une interview exclusive accordée à nos confrères du journal Municipal Updates , en marge du 48ème Séminaire annuel des évêques du Cameroun tenu du 4 au 11 janvier 2025 à Buéa dans la région du Sud-Ouest , l’Archevêque de Bamenda Mgr Andrew Nkea, par ailleurs président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun souligne que les Evêques ne peuvent condamner que les actes répréhensibles, mais pas les personnes, insistant sur le rôle de l’Église en tant qu’instrument de paix et de réconciliation tout en évitant les attaques personnelles contre les individus. Pour lui, les relations entre l’Église et l’État sont excellentes au Cameroun et la position des évêques ne peut-être connue qu’à travers la conférence épiscopale. Les détails.
A la question du journaliste Cham Victor Bama sur le contexte de ce 48ème Séminaire annuel des évêques,, Mgr Andrew Nkea explique que cet événement est organisé cette année à Buea sous le thème du vivre ensemble. « c’est important parce que toute l’Église a reçu ce document final après le synode sur la synodalité. Et nous cherchons comment contextualiser ce document dans l’Église du Cameroun. Et c’est très important pour nous parce que le document met en évidence la nouvelle façon d’être de l’Église et c’est une très grande réussite sous le pontificat du Pape François. Pour lui, l’une des choses les plus importantes est ce qu’il appelle les consultations pastorales. « Lorsque nous nous réunissons, comme nous le faisons actuellement, nous partageons les idées de diverses provinces ecclésiastiques et nous regardons comment fonctionne le projet pastoral de chaque diocèse et de chaque province. Et de cette façon, nous échangeons des idées et c’est très, très utile….nous organisons cette conférence dans le contexte de l’année 2025, déclarée par le Saint-Père Année jubilaire de l’espérance. Et donc tout ce que nous regardons, nous le regardons dans la perspective de l’espérance, sachant que, comme le dit le Saint-Père dans la lettre qu’il nous a écrite à tous, l’espérance ne nous trompera jamais…par notre message de paix, par notre message de réconciliation, notre message d’amour, message d’unité, nous avons fait beaucoup pour propager ces messages et surtout, essayer de réduire les discours de haine(Crise dans le nord-ouest et sud-ouest). Et lorsque nous faisons cela, la population change de comportement et voit les choses sous un angle différent. Deuxièmement, nous gérons des institutions, des établissements d’enseignement, des établissements médicaux. Vous savez que l’une des institutions les plus touchées pendant cette crise a été l’école. Mais désormais, je pense que l’Église a ouvert toutes ses portes à toutes les écoles et que toutes nos écoles fonctionnent bien et nous avons redonné aux Camerounais, aux jeunes Camerounais, la possibilité d’aller à l’école ; avoir la formation requise dont ils ont besoin. Et enfin, en collaborant beaucoup, vous savez, avec la population et avec les autorités civiles en partageant des idées stratégiques sur la manière d’apporter la paix, la réconciliation et la justice.
Sur la relation entre l’Église et l’État du Cameroun, Monseigneur indique qu’ « À l’heure actuelle, je peux dire que les relations entre l’Église et l’État sont excellentes. Le ministre des Affaires étrangères du Vatican, Mgr Paul Richard Gallagher, vient de partir d’ici il y a deux mois et nous pensons que malgré les petits défis, comme toujours, nous sommes toujours bénéficiant d’une très bonne relation.
Concernant la démarche de certains évêques, qui font des sorties très critiques sur l’état du climat politique du pays, demandent au chef de l’État de ne pas briguer un nouveau mandat et qui s’impliquent dans certains dossiers politiques clés du pays, Monseigneur Andrew Nkea est clair : « Une des choses que je dois vous faire savoir, c’est que nous n’avons qu’un seul évêque étranger dans cette conférence. Tous les autres 25 évêques sont camerounais. Et en tant que Camerounais, ils ont droit à leur opinion civique. Mais leur opinion civique ne représente pas la position de l’Église catholique au Cameroun. Ainsi, si un évêque exprime sa propre opinion sur une certaine idée, cela ne représente pas la position de l’Église catholique. Seule la conférence, après délibérations en Assemblée générale, peut exprimer la position de l’Église catholique. Alors les gens disent que l’Église a dit cela, mais ce sont des évêques individuels. Cela ne représente pas l’Église catholique ».
Est-ce alors une sorte de désunion au sein de l’Eglise ? « Non, il n’y a pas de désunion dans l’Église. Au contraire, l’Église est très unie, car lorsque nous parlons d’unité et de désunion, nous faisons référence à la doctrine, à la foi et à la morale selon lesquelles nous sommes très unis. Mais si vous avez 200 individus, ces 200 individus ont leurs 200 opinions différentes, et chaque opinion individuelle ne représente pas une position de désunion. Cela n’a donc rien à voir avec notre unité en tant qu’évêques…Si vous vous en souvenez, en avril dernier, j’avais personnellement appelé à participer massivement et à s’inscrire aux prochaines élections. Deuxièmement, la conférence ne s’est pas réunie en assemblée générale pour en discuter. Donc, jusqu’à ce que nous nous rencontrions et discutions, nous nous en tenons à ce que nous avons dit, à savoir que les gens devraient s’inscrire massivement et se préparer pour les prochaines élections. Mais notre position n’est pas de commencer à déclarer qui doit se présenter ou qui ne doit pas se présenter. Cela ne fait pas partie de notre travail d’évêques actuellement. Je pense que si l’on écoute attentivement le discours du président Paul Biya dans la nuit du 31 décembre, il insistait lui-même sur le changement. Changement d’attitude des Camerounais, changement de fonctionnaires corrompus, changement de porteur de projets de développement. C’est très important. Tout le monde souhaite un changement positif dans le pays, mais le changement positif est relatif. Et deuxièmement, il existe une constitution dans notre pays qui guide les élections et tout le reste. Votre opinion ne change donc pas ce que dit la constitution. Et je pense qu’en tant que gens de droit, nous suivons ce que dit notre constitution. S’ils veulent modifier la Constitution, ils en débattront au Parlement. Ce n’est pas depuis la chaire qu’on change les constitutions.
Et lorsqu’on lui rappelle qu’il semblerait que son message d’espoir pour la paix a été interprété à tort comme signifiant qu’il appelait à un changement de pouvoir à la tête de l’État, Monseigneur Andrew Nkea recadre tout le monde. « Eh bien, je pense que les journalistes ont besoin de beaucoup d’éducation parce qu’ils sont des propagateurs de haine et de désinformation. Je n’ai pas dit qu’ils devraient changer les autorités au pouvoir. J’ai dit que nous attendons tous avec impatience un Cameroun brillant où nous tous nous attendons avec impatience des projets de développement positifs dans notre pays. Est-ce que ça m’importe qui l’apporte ? Donc personne ne devrait me mettre des mots dans la bouche. Et comme je l’ai dit hier aux journalistes, chacun doit prendre ses responsabilités. Les journalistes ne feront pas leur propre travail en désinformant le public. Ils devraient faire leur travail en donnant au public des informations correctes. Donc je n’ai pas dit ça ». Par ailleurs, « Je l’ai répété à maintes reprises : nous devons nous concentrer sur le rétablissement de la paix dans nos régions. Et certains ont dit : non, non, non, il ne peut y avoir de paix sans justice. Et je reviens toujours à mon point de vue : travailler pour la justice ne signifie pas manquer de paix. Nous continuons à œuvrer pour la justice, mais nous avons besoin d’un environnement pacifique pour continuer à œuvrer en faveur de la justice. En tant qu’êtres humains, il ne peut y avoir de société pleinement juste parce que le comportement humain lui-même est très drôle. Travailler pour la justice est donc une préoccupation quotidienne. Vous ne dites pas que nous sommes arrivés à la justice et donc que nous avons la paix. La justice est un processus continu dans lequel nous devons travailler jusqu’à notre mort. Et si vous regardez le monde, je vous demanderai de me montrer une société juste. Beaucoup de choses se passent encore, même dans des sociétés très civilisées, mais elles sont en paix et c’est pourquoi je dirai à la population des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest que nous devrions tous retrousser nos manches et travailler au développement de ce pays. Chacun devrait contribuer à faire du Cameroun un pays fort et uni, mais en même temps, les gens devraient cesser de pointer du doigt les autres. Nous devons tous nous concentrer pour rendre notre pays uni et pacifique ».
Pour lui ceux qui disent que l’Église ignore le dialogue avec l’opposition et se concentre sur le jugement ont tord « car je parle pour moi-même. Nous avons également beaucoup travaillé, surtout pendant cette crise, à parler aux séparatistes et à essayer de les amener à comprendre et à critiquer certaines des atrocités qu’ils commettent. Nous avons essayé d’avoir une approche équilibrée de la vie. Et comme je l’ai déjà expliqué, nous condamnons les maux de la société, nous ne condamnons pas les gens. Parfois, personnellement ou à partir de leurs opinions personnelles, certains évêques peuvent exprimer leurs opinions personnelles, mais cela ne signifie pas que nous avons des problèmes avec qui que ce soit. Non, au contraire, nous sommes des messagers de paix. Nous sommes des messagers de réconciliation en tant qu’hommes de Dieu. Je suis une personne positive. Dans ma réflexion, je vois dans 20 ans une économie très, très forte et prospère, parce que nous ne pouvons qu’aller de l’avant. Nous ne pouvons plus jamais revenir en arrière.
Et je peux vous donner l’exemple: il y a 20 ans, j’étais à Buea en tant que secrétaire de l’évêque et, de retour à Buea, 20 ans plus tard, Buea est devenue une ville. Là où vous et moi sommes assis maintenant, il y avait une plantation de bananes. Si vous regardez le trafic que vous voyez à Buea, dans 20 ans nous aurons des gratte-ciel à Buea. Je peux juger d’après ce que je sais. Dans 20 ans, Buea sera l’une des plus grandes villes du pays” a conclu le président de la conférence épiscopale nationale du Cameroun.
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